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Kaffal woh na djeyaal : Le bien commun et partagé n’est ni une richesse, ni une propriété. Je l’entends souvent ici. Les sages le disent sans élaborer là-dessus. Cette expression est pourtant l’articulation d’une vérité profonde. Chez nous, l’héritage devient toujours une source de désintégration. Elle pousse souvent à la séparation individuelle et collective. Il suffit tout juste de lire l’histoire de l’aristocratie du fouta ou d’observer nos familles avec lucidité pour le comprendre. La forme de séparation ou de désintégration diffère mais le fond demeure toujours le même. Le bien commun et partagé devient graduellement une source de rivalité ; instituant une concurrence malsaine et normalisant l’éloignement.

Je théorise qu’il y a deux facteurs qui contribuent à cette condition :  Djanfa et felitareh.

Il est presque impossible de traduire djanfa en français sans l’utilisation de plusieurs termes. Le pular a cette beauté, cette capacité d’exprimer plusieurs idées en un mot. Djanfa se définit comme la violation d’un serment sacré et parfois symbolique. Le mot se traduit probablement comme forfaiture, trahison et infidélité. D’une part, nos désirs et besoins individuels, parfois familiales nous aveuglent. Il faut garder en cachette le peu qu’on sait et détient étant donné que l’accès aux informations est toujours asymétrique dans une organisation, une institution ou une famille. De ce fait, on se viole dans le partage qui se déroule couramment dans l’inimitié. D’autre part, dès qu’un de nos frères où une de nos sœurs se dissocie de la majorité dans la famille, une jalousie infecte s’établit. Son succès et son positionnement sont conçus comme le produit de cet héritage. Sans cela, il n’aurait jamais réussi tandis que son histoire prouve tout le contraire. Conséquemment, on se viole la parole, la richesse, la place, le nom. Graduellement, l’éloignement se réalise, se rationalise avant de se normaliser.

Felitareh ou felountougol est une deuxième raison. Ce terme aussi exprime la richesse du pular et se traduit comme un sentiment de droit sans devoir : le fait de penser qu’on mérite toujours plus, qu’on est toujours mieux et meilleur que l’autre ou qu’on nous doit toujours respect, appréciation et adoration. Avec ce bien commun, je ne dois rien mériter. Je dois tout simplement tout empocher et dicter. Pourtant, le respect se mérite. Ce sentiment de droit sans devoir pousse irrationnellement à vouloir s’imposer, se faire entendre politiquement et se faire remarquer socialement. Il empêche d’accepter nos propres faiblesses, de voir nos propres limites et d’agir humblement et collectivement. Il nous condamne dans la facilité et l’arrogance. On finit par se méconnaitre. Dans tous les cas, les conséquences sont énormes. On jouit rarement de la richesse commune.

Je reconnais que cette liste n’est pas exhaustive mais j’espère qu’elle marquera le début d’une prise de conscience. Une famille peut hériter de ressources matérielles ou économiques comme la famille d’Elhadj Mouctar Yali, ancien entrepreneur et milliardaire. Elle peut aussi hériter d’un pouvoir d’ordre politique comme la descendance de Karamoko Alpha Mo Labé, fondateur de la ville de Labé ou d’Elhadj Abdourahmane Bah, érudit et ancien imam de la grande mosquée de Labé. Parfois, elle est d’ordre symbolique et culturel. Mais, tout ceci n’a aucun sens, aucune utilité, aucun bénéfice si la richesse partagée devient une source de séparation et guide vers la rupture de sang. Comme l’a toujours dit ma maman : hindan fidjirtakeh.

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